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Du Québec et du Canada

Ellen Corin, Chercheur émérite, Université McGill

February 7, 2025

Lettre d'appui du Pr. Ellen Corin

Montréal, le 27 janvier 2025

M. Lionel Carmant
Ministre responsable des services sociaux

Objet: Lettre d'appui au maintien des activités du« 388 ».


Monsieur le Ministre,

J'ai suivi les activités du 388 depuis sa création, il y a maintenant plus de 40 ans ... une longévité qui parle de la qualité du Centre que psychiatres, psychanalystes et intervenants ont mis en place dans un dialogue trop rare dans nos structures de soins. En tant que directrice de la Division de recherche psychosociale au Centre de recherche de l'Institut universitaire en santé mentale Douglas, j'ai été particulièrement sensible à la grande qualité des soins que le 388 offre à des personnes souffrant de psychose, particulièrement à des jeunes dont le traitement pose des défis particulièrement complexes comme le savent les intervenants qui travaillent dans ce milieu. J'ai aussi été impressionnée par le souci que les responsables du 388 et les intervenants ont eu, dès le départ, de recueillir des données leur permettant d'évaluer leur travail. Une préoccupation non seulement remarquable mais également exemplaire, que l'on voudrait plus répandue dans nos services. J'ajouterai que le succès du dispositif du 388 repose sur une grande exigence de pensée, de cohérence et d'engagement, sur un souci constant de tisser ensemble réflexions et pratiques.

Dès sa création, le 388 m'a paru incarner d'une manière particulièrement riche et féconde l'idée cadre mise de l'avant pour l'organisation des services de santé mentale par le Dr Gaston Harnois alors Directeur du Comité de la santé mentale : « La personne au Centre ». J'avais moi-même rédigé deux avis pour ce Comité : « La santé mentale, de la biologie à la culture » (1985) et « Sortir de l'asile, des politiques et de pratiques en pays étranger » (1986). Il était clair alors que, comparativement à ce qui se faisait ailleurs, le 388 avait développé des pratiques d'avant-garde. Les nombreux témoignages d'usagers et de membres de leur famille recueillis à travers le temps montrent à quel point les services qu'ils ont reçus les ont rejoints, leur ont permis de surmonter les symptômes si invalidants de la psychose et de reprendre pied dans la vie. Il faut réaliser l'importance essentielle de ce dernier point pour des jeunes qui se sont trouvés ébranlés dans leur rapport à soi et aux autres par la psychose, ébranlés dans la possibilité pour eux d'imaginer un avenir.

Le cheminement proposé aux usagers du 388 intègre une action sur les symptômes, grâce à la participation de psychiatres ayant une grande expérience de traitement de personnes psychotiques, avec tout un éventail d'activités relationnelles, sociales et artistiques qui soutiennent un projet de réinsertion et de réadaptation riche et significatif pour les personnes et leur entourage. En parallèle avec ces activités, des rencontres régulières avec les analystes du Centre permettent aux usagers de se reconnecter avec leur monde intérieur, de faire la paix avec ce qui les a troublés, de formuler un projet de vie qui leur permette de se projeter dans l'avenir.


Ainsi, lorsqu'on considère les activités développées au 388, ce qui fait leur richesse est non seulement qu'elles visent les symptômes psychotiques mais qu'elles prennent en compte la totalité de la personne. Elles offrent aux usagers un éventail de possibilités qui soutiennent un ré-ancrage dans la vie et les acccompagnent dans les différentes facettes de leur parcours. Il faut y ajouter la grande disponibilité des intervenants, la certitude pour l'usager qu'il y aura toujours quelqu'un pour l'accueillir dans les moments difficiles, quelqu'un qui le connaît ou qui est familier avec son histoire et à qui il pourra faire confiance, qui pourra les rencontrer là où ils sont.


Il s'agit donc d'un« milieu thérapeutique» au sens riche du terme, véritablement unique au Québec et dont on trouve très peu de parallèles dans d'autres pays. La réputation du 388 et surtout l'admiration que suscite le dispositif mis en place s'étend bien au-delà de nos frontières, comme en témoignent les colloques internationaux organisés autour du dispositif du 388. Pour avoir fréquenté ce Centre au fil des ans, ce qui me frappe est la manière dont les activités mises en place sont soutenues par un travail d'équipe remarquable qui implique non seulement des rencontres régulières mais aussi un travail de réflexion continu sur ce qu'il en est de la psychose, de son impact sur les personnes et sur leur rapport au monde; des rencontres où l'on échange aussi sur ce qui anime les trajectoires de certains usagers. Cette réflexion est animée à la fois par un cadre théorique nourri par la psychanalyse mais aussi par les expériences des intervenants et leur mise au travail lors de rencontres régulières. Je ne saurais trop insister sur l'importance que revêt ce  « travail en double », à la fois théorique et pratique, pour animer la qualité des interventions. Un travail qui donne aux activités un caractère « organique » unique et extrêmement précieux lorsqu'il s'agit de traiter des personnes en désorganisation psychotique.

Les données recueillies par les intervenants, particulièrement celles qui concernent la baisse spectaculaire des ré-hospitalisations et le retour à une vie autonome, la manière dont les usagers eux-mêmes parlent de ce que leur a apporté leur séjour au 388 et des liens noués avec les intervenants et les analystes du 388, les témoignages des familles, cet ensemble de données est extrêmement impressionnant. Je ne connais pas de structure d'intervention au Québec qui se soit donné le défi et la peine de recueillir de telles informations et qui se soit ainsi engagé dans un processus continu d'auto-évaluation.

Les personnes qui ont fondé le 388 se sont appuyées sur un cadre solide, celui de la psychanalyse, mais une psychanalyse retravaillée et nourrie par leur expérience dans le champ de la psychose et de son traitement. Ce que j'ai observé lors de mes passages au 388, lors de mes conversations avec les personnes qui y travaillent, les échanges qui ont eu lieu lors des conférences internationales organisées autour du 388, tout cela me montre que si la psychanalyse nourrit les pratiques de manière fluide et ouverte, comme c'est aussi le cas dans plusieurs lieux de soin en France et aux États-Unis entre autres, ces pratiques intègrent aussi toute une palette d'interventions que l'on retrouve aussi dans les Centres spécialisés dans le traitement de la psychose.

Mon appui au maintien et au renforcement du dispositif de soins mis en place au 388 reflète mon admiration pour la force et la rigueur du cadre d'intervention qu'ils se sont donné, sur ce maillage entre réflexions et pratiques, entre travail d'équipe et accompagnement individuel, entre une attention aux signes de malaise psychique et aux manières dont se rétablissent des liens aux autres et à la société et se redéploie un monde intérieur qui n'est plus emprisonné dans les symptômes de la psychose. Il faut ici prêter attention non seulement aux signes objectifs de changement, mais aussi aux mots à travers les personnes décrivent leur expérience et leur « retour à la vie».

C'est avec respect que je vous soumets ces réflexions qui reposent à la fois sur ma longue fréquentation du 388 et sur les enseignements de ma carrière de recherche en psychiatrie et en santé mentale. Dans l'espoir que vous trouverez les moyens de faire en sorte que le 388 puisse poursuivre un travail important, exigeant et si fécond.
Avec mes respectueuses salutations.

Ellen Corin, PhD, MSRC
Professeur émérite
Départements de psychiatrie et d'anthropologie, Université McGill Chercheur émérite
Centre de recherche de l'Institut universitaire en santé mentale Douglas

cc.
M. Pascal Paradis, député de Jean-Talon
M. Étienne Grandmont, député de Taschereau
M. Sol Zanetti, député de Jean-Lesage