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Du Québec et du Canada

Réseau pour la Réflexion Critique en Psychiatrie

February 26, 2025

Lettre du RRCP au premier ministre

Montréal, le 7 février 2025

Destinataire: Monsieur François Legault, Premier Ministre du Québec

Copies conformes: Monsieur Christian Dubé, Ministre de la Santé et des Services Sociaux et Monsieur Lionel Carmant, Ministre Responsable des Services Sociaux

Objet: La fermeture du 388 St-Vallier, symptôme de la déshumanisation des soins psychiatriques au Québec

 Monsieur Legault,

Nous, psychiatres et médecins-résidents en psychiatrie, représentants du Réseau pour la Réflexion Critique en Psychiatrie, nous opposons fermement à la décision du CIUSSS de la Capitale-Nationale, soutenue par le Ministre Lionel Carmant, de mettre fin aux traitements et aux soins offerts par la Clinique «le 388 St-Vallier», à Québec, et vous demandons d’agir pour y remédier. Notre groupe est composé de médecins œuvrant en santé mentale qui organisent, tous les ans depuis maintenant 6 ans, un congrès de réflexion critique sur la psychiatrie auquel participent des sommités québécoises et internationales ainsi que des centaine de soignantes et soignants désireux d’humaniser les soins psychiatriques au Québec.

Bien que la décision de fermer le «388 St-Vallier» puisse sembler raisonnable selon le discours managérial tenu par le CIUSSS-CN et le ministre Carmant, nous pensons qu’elle révèle des enjeux beaucoup plus graves au sein du système de soins psychiatriques québécois, enjeux qui sont d’importance nationale.

En effet, nous, cliniciens en santé mentale, assistons à un phénomène de déshumanisation des soins, ceci à l’échelle de la province: coupures de lits d’hospitalisation et du soutien psychosocial pour les patients et leurs proches, fermetures des unités de psychiatrie au sein des hôpitaux généraux, recentralisation des soins au sein des anciens «asiles» du Québec, abolition ou sous-financement des pôles de soins soutenant le rétablissement et l’accueil humains dans la communauté (centres et hôpitaux de jour ou de traitements communautaires, logements encadrés et/ou supervisés, organismes communautaires, etc.) au profit de services offrant des «épisodes de soins» «spécialisés». «Épisodes de soins», c’est-à-dire limités dans le temps, et «spécialisés», c’est-à-dire qui se donnent le droit de refuser ou d’abandonner les patients qui n’entrent pas dans leurs «cases». À ces éléments préoccupants, s’ajoute aujourd’hui la fermeture du «388 St-Vallier». Cette clinique demeurait, jusqu’à maintenant, un témoin du projet de psychiatrie humaine et communautaire qui avait émergé au Québec dans la foulée du rapport Bédard, et qui visait à décentraliser les soins psychiatriques, à déstigmatiser la santé mentale et à promouvoir le rétablissement des personnes à même leur communauté.

Cette évolution des soins au Québec nous semble également la conséquence d’une idéologie managériale appliquée à la santé qui nivèle tous les soins et services sous le dénominateur commun de la donnée statistique afin d’en faciliter les analyses économiques. En d’autres mots, il apparaît qu’en psychiatrie, les questions de quantité ont supplanté les questions de qualité.  En effet, nous travaillons depuis maintenant plusieurs années dans un système où règnent les chiffres, sans égard aux conséquences cliniques pour les patients et leurs soignants: restriction et pénuries de personnel, obsession pour l’efficacité et les durées de séjour à l’hôpital, centralisation des pouvoirs décisionnels aux mains de bureaucrates, techniques de gestion importées du secteur industriel, etc. Il nous semble que la psychiatrie, déjà historiquement tendue entre le soin clinique et le contrôle social, doit maintenant composer avec une nouvelle donnée, celle de l’appauvrissement des institutions publiques. Déjà tiraillé entre des positions de geôlier et de soignant, le psychiatre, dans le même mouvement que l’institution où il exerce, risque ainsi aujourd’hui d’être assigné à un nouveau rôle : celui de gestionnaire. Gestionnaire de comportements, de symptômes, de droits de sortie, etc. Et en miroir, le «malade», autrefois enfermé ou abandonné, devrait maintenant être géré. Mais nul besoin d’être un clinicien chevronné pour comprendre qu’un être, un sujet de vie dans sa complexité, ne peut être «géré» comme un objet. Ainsi, alors qu’il était autrefois enfermé ou abandonné en tant que sujet individuel, la personne malade serait désormais gérée en tant qu’amas de manifestations symptomatiques, en tant que constellation de dysfonctionnements, de diagnostics et d’anomalies appelant chacun leur technique thérapeutique ou leur programme spécialisé. Elle serait finalement traitée en pièces détachées, tout comme sur une chaîne de montage, sans égard à son vécu unique. Conséquemment, l’intervention psychosociale se résume ainsi trop souvent à remplir des check-list de symptômes ou des formulaires protocolisés visant la protection légale des institutions et agissant comme «preuve» d’une offre de services, ceci au détriment d’une réelle rencontre avec la personne souffrante.

Monsieur Legault, c’est ce type de traitement que les coupures en santé mentale et l’idéologie managériale appliquée aux sciences de la santé engendrent dans notre province. La fermeture du «388 St-Vallier» n’en est qu’un exemple. Nul besoin de vous faire la démonstration qu’à long terme, ces méthodes déshumanisantes, par ce qu’elles entraînent de phénomènes de portes tournantes, d’itinérance, de refus des soins, d’isolement, de toxicomanie et d’aggravation des pathologies mentales, finit par coûter plus cher aux Québécoises et aux Québécois. Est-ce le type de système de santé que vous voulez nous léguer? Nous vous demandons d’intervenir afin de renverser la décision du CIUSSS de la Capitale Nationale de fermer le «388 St-Vallier» ce lieu qui offre encore un accueil humain et des soins centrés sur la personne qui souffre de troubles psychotiques. Devant votre inaction face au problème national que posent ainsi la déshumanisation et l’industrialisation des soins psychiatriques, nous ne pourrions que conclure que vous avez jeté l’éponge face à la crise en santé mentale au Québec. Ou pire, pourrions-nous soupçonner que vous planifiez déléguer ce problème au secteur privé?

Signataires, membres du R.R.C.P.:

 Antoine B.-Duchesne, psychiatre

CIUSSSde la Capitale-Nationale, Québec

Anne St-Cerny-Gosselin, psychiatre

CIUSSS de l’Estrie-CHUS, Sherbrooke

Simon Giasson, psychiatre

CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, Montréal

Lucie Boucher, psychiatre

CISSS Montérégie-Est, Saint-Hyacinthe

Quentin Perreault-Lapointe, psychiatre

CISSS de Chaudière-Appalaches, Lévis

Maxine Aird, psychiatre

CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

Sarah Pham Thi-Desmarteau, psychiatre

CIUSSS de la Capitale-Nationale, Québec

 Marie Brouillette-Chouinard, psychiatre

CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, Trois-Rivières

 Mathieu Leblanc, psychiatre

CISSS Côte-Nord, Sept-Îles

Cabinet, Sherbrooke

Elliot LaBarre Thibert, psychiatre

CIUSSS des Laurentides,

Hôpital Régional de Saint-Jérôme

Amélie Solis, psychiatre

CIUSSS de l’Estrie-CHUS, Sherbrooke

Sarah Lavoie, résidente en psychiatrie

Université de Sherbrooke 

Dany Lamothe, psychiatre

Stanford School of Medicine, CA, USA

Olivier Gagné, résident en psychiatrie

Université de Sherbrooke

Gabrielle Landry, résidente en psychiatrie

Université de Montréal