February 2, 2025
Les usagers du 388
February 3, 2025
Lettre ouverte du comité des usagers du 388
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Une coupure de traitement qui fait mal
Lettre ouverte au Ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant et au Ministre de la Santé, Christian Dubé
Bonjour monsieur Dubé, monsieur Carmant,
Nous, les usagers du Centre psychanalytique pour jeunes adultes psychotiques, le 388, vous adressons cette lettre pour vous implorer de renverser la décision du Centre Intégré Universitaire de Santé et de Services Sociaux (CIUSSS) de la Capitale-Nationale, de fermer notre clinique le 13 mars prochain.
Des intervenants du CIUSSS ont téléphoné à chacun d'entre nous le 10 janvier pour nous informer de cette malheureuse décision. Disant simplement que nous serions redirigés dans un autre service et qu'on allait garder le même psychiatre. Mais c'est un leurre car il n'y a nulle part ailleurs des services comparables au traitement que nous offre le 388.
Cette nouvelle a eu l'effet d'une véritable bombe, anéantissant d'un seul coup tout espoir de guérison, nous laissant envahis d'incompréhension. Qu'en est-il de la cure analytique avec nos psychanalystes? Et les contacts avec les intervenants qui nous suivent et nous connaissent? Si on a des épisodes de problèmes de santé mentale, allons-nous devoir être hospitalisés? La prévention coûte beaucoup moins cher que les hospitalisations. D'ailleurs, aller à l'hôpital est un traumatisme pour plusieurs, et ce n'est sûrement pas la solution. Pourquoi l'approche analytique est-elle abandonnée par le CIUSSS de la Capitale-Nationale et le ministère de la Santé ? Il n'y a pas que la thérapie cognitivo-comportementale. L’approche analytique marche. De plus, tout le monde devrait avoir la possibilité de choisir l'approche qu'il juge la plus appropriée, ne pensez-vous pas?
Vous devez savoir, messieurs les ministres, que le 388 est une institution unique en son genre, de réputation internationale, et a plusieurs longueurs d'avance sur les autres. Nous tenterons ici, en quelques points et témoignages, de vous expliquer en quoi, et pourquoi nous pensons qu'il serait impératif de maintenir le traitement du 388, et même judicieux d'utiliser ce modèle pour en implanter de semblables partout dans la province, plutôt que de le faire disparaître.
1 - L’approche globale analytique, multidisciplinaire, basée sur la parole, du 388, est incomparable et unique. Elle permet aux usagers qui s'engagent dans leur traitement, d'identifier, de reconnaître la source de leur vulnérabilité. Elle permet de les outiller de façon à ce qu'ils se rétablissent et redeviennent des citoyens responsables à part entière (qui payent leurs impôts).
2 - La rencontre d’équipe, parallèlement à la cure psychanalytique, est une étape importante de notre traitement. L’équipe formée à l'approche analytique est composée du psychiatre, de l’intervenant responsable, de la travailleuse sociale et de nous. À cette rencontre, on établit au départ notre plan d’intervention qui sera constamment réévalué, modulé et enrichi au fil du temps. C’est là aussi qu’on prend des décisions, en équipe, parfois primordiales, qui seront directement liées à l’atteinte d’une possible guérison.
3 - La possibilité d'être admis résident et de demeurer 24 heures sur 24 au 388 est une option très particulière qu’offre le Centre durant le traitement. Nous la considérons essentielle pour traiter une crise au 388 plutôt qu'à l'hôpital ou pour écourter un séjour à l’hôpital qui n'avait pu être évité. On peut aussi demander une période de résidence préventivement quand survient un obstacle dans notre parcours de vie. Une période de résidence peut durer une seule nuit jusqu’à plusieurs semaines. Quand on est en résidence, la fréquence des rencontres, autant en cure psychanalytique qu'en psychiatrie, est augmentée.
4 - Le Centre est ouvert et accessible 24 heures sur 24, 365 jours par année. Une personne psychotique, le 388 l’a compris, a besoin de soins rapidement quand elle va mal sinon elle peut décompenser assez vite, ce qui entraîne de lourdes conséquences : hospitalisation, perte d’autonomie, pertes d’acquis qu’il faut du temps pour rattraper.
Le lien, la constance, la ligne droite qui n’est brisée en aucun moment, en aucune circonstance, qui nous permet de connaître un début et surtout une fin de traitement, est unique au 388 et l’un des secrets de son succès.
5 - Le 388 propose également aux usagers des activités d’art, de sport ou communautaires tous les jours de la semaine, voilà une spécificité qui le démarque. Ces activités nous permettent de briser l’isolement. Les ateliers nous permettent d’extérioriser des émotions qui vont au-delà des mots. C'est une partie importante du traitement. Quand tu t'exprimes, ça te permet de créer, mais aussi va t'apporter une valorisation.
6 - Durant le traitement il y a un maintien du logement, du travail, des activités dans le social malgré les difficultés. Ça permet de maintenir et entretenir des relations saines : pas de relations de dépendance avec les amis, la famille. Il y a une autonomie qui se développe.
7 - Le 388 est bien plus qu’un Centre de traitement des psychoses : c’est une famille, une communauté où chacun retrouve confiance, sourire et espoir. J’ai vu des pairs s’épanouir et devenir artistes, enseignants, fonctionnaires, infirmiers, ou travailleurs dans d’autres secteurs. La rapidité avec laquelle ce lieu permet à ses usagers de se reconstruire est remarquable.
8 - Pour venir au 388, il faut vouloir parler. Savoir que les jeunes ne pourraient pas avoir tout cela nous consterne. Nous ne voyons pas pourquoi nous l'avons eu et pourquoi les jeunes ne pourraient pas en bénéficier. Les usagers du 388 veulent travailler sur eux, veulent s’en sortir. Ce sont des gens qui sont en marche et non des gens qui sont arrêtés par la médication. Ce sont des gens qui ont à cœur leur santé, et de s’améliorer : pas juste la santé mentale mais toute l’amélioration de la qualité de vie.
Que pourrait-on conclure à part que tous ces services du 388 sont inégalables et valent amplement le budget qui lui est accordé? Nous ne sommes pas dupes et ne croyons pas les propos du CIUSSS quand il nous dit que nous aurions des services "semblables" à ce que l'on connaît. Le nombre d'usagers est peut-être moindre par année que souhaiterait madame Fugère, mais les résultats sont au rendez-vous!
Nous vous remercions de tout cœur, messieurs Dubé et Carmant, de votre bienveillante attention, espérant que la lecture de cette lettre vous encourage à intervenir pour maintenir en vie notre 388. Ce fleuron québécois qui a pourtant reçu, il y a trois ans, la médaille de l'Assemblée nationale, à l'occasion de ses 40 ans d'existence.
Jean-Benoit ,Geneviève ,Martin, Julie, au nom du Comité des usagers du 388
24 janvier 2025
c.c. : M. Pascal Paradis, député de Jean-Talon
M. Étienne Grandmont, député de Taschereau
M. Sol Zanetti, député de Jean-Lesage